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Vers la fin des gardes de 24 heures ?

35-heuresAvant le 1er janvier 2002, la moyenne du temps annuel de travail était de 2 580 heures pour les sapeurs-pompiers non logés (soit 107 gardes de 24 heures) et de 3 225 h pour les sapeurs-pompiers logés (soit 134 gardes de 24 heures).

Ces chiffres sont ceux donnés dans un rapport de la Cour des Comptes de février 2002, peu de temps après la mise en place de la départementalisation et des 35 heures dans la fonction publique de l’Etat (Décret 2000-815), la Territoriale (Décret 2001-623), les Sapeurs pompiers professionnels (Décret 2001-1382), et l’Hospitalière (Décret 2002-9).

Aujourd’hui, un sapeur pompier professionnel ne peut plus dépasser 2 256 heures de présence à disposition de l’employeur, y compris les heures supplémentaires.

Nous devons ce progrès social à l’intervention d’un syndicat auprès de l’Europe en juillet 2011, laquelle, le 27 septembre 2012, a mis en demeure la France de mettre le décret 2001-1382 en conformité avec la directive européenne 2003/88. Et ce n’est que le 18 décembre 2013 que la France mettra finalement le décret sur le temps de travail des sapeurs pompiers professionnels en conformités avec le Droit Communautaire. Voir ci-dessous.

evolution-temps-de-travail

Avant de traiter du devenir des gardes de 24 heures, revenons sur l’histoire du temps de travail des sapeurs pompiers professionnels, ne serait-ce que pour bien s’imprégner de l’extraordinaire évolution qui s’est déroulée depuis un siècle.

Dans le Rhône, au début des années 1980, les sapeurs pompiers professionnels non logés effectuaient un plus de 120 gardes de 24 heures par an, soit près de 3 000 heures de travail par an. A la même époque, les logés effectuaient 150 gardes de 24 heures, soit 3 600 heures par an, ou encore 2,24 fois la durée légale d’aujourd’hui (1607 h par an).

A cette époque, le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels était déjà en diminution, puisque les anciens évoquaient le temps où le travail s’effectuait en 3 et 1, voire dans des temps encore plus lointains en 5 et 1, époque où tous les sapeurs pompiers professionnels étaient logés et où 1 jour de repos succédait à 3 ou 5 jours de garde.

La baisse du temps de travail a donc été spectaculaire. Et s’il est vrai que les travailleurs en France on vu leur temps de travail annuel diminué par deux (voir graphique ci-dessus), pour les Sapeurs pompiers professionnels, la division a été faite par 3 voire par 4.

Pour mieux comprendre ce phénomène, rappelons quelques dates clefs (source Jacques Perier historien des sapeurs pompiers du Rhône sur le site du SDMIS) :

  • 1867 : Lyon met en service sa première « pompe à vapeur », construite par l’anglais Merryweather. Cette machine est servie par les sapeurs professionnels du dépôt général qui partent en renfort des compagnies volontaires d’arrondissement. Les chevaux de traction sont loués à la compagnie des Omnibus de Lyon.
  • 1899 : Lyon achète douze chevaux dont huit sont affectés à plein temps au service d’incendie.
  • 1907 : Le 24 juin, le conseil municipal de Lyon adopte le projet d’un service d’incendie entièrement professionnel et motorisé.

Dans l’Histoire des sapeurs pompiers, la professionnalisation est récente. Avec le développement urbain et celui des industries, les missions des sapeurs pompiers ont subi une très forte évolution et une considérable augmentation. Aujourd’hui les interventions de secours à personne sont très largement  majoritaires (75 %), alors que l’incendie, pourtant à l’origine de la création des sapeurs pompiers,  ne représente plus que 6 % des interventions (Statistiques 2014).

Parallèlement, les luttes sociales ont eu pour effet d’améliorer les conditions de travail.

Rappelons enfin que l’Europe est née sur les ruines de la deuxième guerre. Le 9 mai 1950, le ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman, déclare : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. ». Voir les grandes étapes de la construction européenne. Ce n’est qu’en 1993 que verra le jour la première directive européenne concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (93/104 du 23 novembre 1993), consolidée par la Directive de 2003.

 

Treaty of Lisbon: Symbolic

Aujourd’hui, avec la crise financière les décideurs des collectivités veulent « rentabiliser » au mieux les effectifs des services incendie. En parallèle de l’augmentation des interventions et de leur technicité, le temps de travail des sapeurs pompiers a diminué.

En conséquence, l’intensité au travail est plus importante lors de chaque garde.

Dans ce contexte, l’interrogation sur le devenir des gardes de 24 heures est légitime, surtout quand on connaît les effets sur la  santé des gardes de nuit et du travail posté. Voir notre article du 7 novembre 2016.

belgique

Le 24 mai, le ministre de la Sécurité et de l’Intérieur belge, Monsieur Jan JAMBON, conscient de l’évolution de la société, a adressé aux présidents des zones de secours, une circulaire dans laquelle il évoque les problèmes posés par les shifts (gardes) de 24 heures :

« Il me revient que plusieurs zones de secours envisagent d’étendre le régime de travail par shifts de 24 heures à d’autres postes de secours que ceux auxquels ce régime de travail s’appliquait avant le passage en zone de secours. Ces projets sont cependant clairement incompatibles avec une optique de progrès social, posent question en matière de sécurité et sont contraires aux engagements internationaux de l’État belge ».

Quatre arguments sont développés par le Ministre belge (Voir circulaire complète ci-dessous):

  • Aspects relatifs à la santé des travailleurs à long terme :
    « Toutes les études scientifiques récentes mettent en cause les effets néfastes pour la santé des shifts de 12 heures ou plus, entre autres en ce qui concerne les risques de troubles cardiaques, de dépression et de burn-outAspects relatifs à la sécurité des intervenants et des citoyens »
  • Aspects relatifs à la sécurité des intervenants et des citoyens : 
    « L’organisation structurelle de shifts de 24 heures suppose la possibilité, même réduite, de devoir travailler effectivement 24 heures d’affilée lors d’événements de grande ampleur ……….. Chacun conviendra qu’il est difficilement concevable qu’un travailleur puisse jouir du même degré d’attention et d’efficacité pendant 24 heures de travail continu ».
  • Aspects relatifs à l’organisation :
    « 
    Les statistiques mettent clairement en évidence une nette diminution du nombre d’interventions la nuit et le week-end. Le taux de service déterminé par la zone de secours et l’analyse des risques doivent permettre de moduler l’effectif des pompiers professionnels dont la présence est nécessaire dans les différents postes de secours selon les jours et selon les heures ».
  • Aspects juridiques :
    « ……..Par contre, c’est de la Charte sociale européenne que l’on peut déduire qu’il est interdit de travailler plus de 16 heures par jour……. A plusieurs reprises, le Comité européen des Droits sociaux a considéré qu’une durée de travail journalière supérieure à 16 heures devait être considérée comme déraisonnable ».

En conclusion, le Ministre belge indique : « Afin de garantir le progrès social et le respect des engagements internationaux de l’État belge, j’ai donc décidé de proposer à l’assentiment de la Chambre des Représentants, un projet de loi qui met fin à la possibilité d’organiser des shifts de 24 heures, tout en prévoyant des dispositions transitoires pour les postes de secours qui travaillent actuellement sur cette base ».

Cette circulaire du 24 mai 2016 a provoqué des remous chez les sapeurs-pompier belges. Voir articles presse ci-dessous.

A ce jour, la réforme des gardes de 24 heures en Belgique n’a pas encore été votée par le Législateur belge. Mais après de tels arguments, il est fort probable que cette réforme sera mise en place, après concertation avec les syndicats belges, et comme indiqué, en mettant en place des dispositions transitoires.

 

france

En France, les sapeurs-pompiers professionnels dépendent du  décret 2001-1382 modifié, mais ils sont soumis à divers régimes de travail. Certains départements sont  passés à pratiquement 100% de gardes de 12 heures. D’autres sont presque exclusivement en gardes de 24 heures, avec pour certains encore un dépassement à la limite annuelle de 2256 heures. Enfin une bonne partie ont adopté un régime mixte de 24 heures et de 12 heures.

Mais la bascule des gardes de 24 heures vers les gardes de 12 heures est en route.

Poussons le bouchon un peu plus loin en examinant les arguments belges. Sont-ils transposables en France ?

  • Santé des travailleurs :
    Toutes les études démontrent la nocivité du travail posté même en 2 fois 12 heures et du travail de nuit. Et donc à plus forte raison du travail en gardes de 24 heures. Il est symptomatique de constater que décret sur le temps de travail des sapeurs pompiers professionnels en France, ne les considère pas comme des travailleurs de nuit et qu’aucune des dispositions pour les travailleurs de nuit que l’on retrouve dans le code du Travail, ne sont déclinées pour les sapeur-pompiers professionnels. Quant au classement des sapeurs pompiers professionnels en travailleur posté, pourtant prévu dans la directive européenne de 2003, même le code du travail ne l’évoque pas formellement, comme il le fait pour les travailleurs de nuit.
    Pourtant loi de modernisation de la sécurité civile (Loi 204-811du 13 août 2004  article 67), indique que « La présente loi reconnaît le caractère dangereux du métier et des missions exercés par les sapeurs-pompiers ». Cette disposition figure maintenant dans le code de la sécurité publique, à l’article L723-1.
  • Sécurité des sapeurs pompiers et des citoyens :
    La France, comme la Belgique a subit dans un passé récent des attentats dramatiques. L’argument du Ministre belge s’applique totalement en France. Comment pourrais -t-on être encore efficace pendant une journée de travail de 24 heures sans discontinuer ? D’autant que les pauses prévues toutes les 6 heures par la Directive européenne ne pourront pas (logiquement) s’appliquer dans de telles conditions de travail.
  • Organisation opérationnelle :
    Avec des gardes de 24 heures, il n’est pas possible de moduler l’effectif opérationnel pour tenir compte du moindre nombre d’intervention pendant la période nocturne. Cette revendication est celle des gestionnaires qui veulent adapter les effectifs au nombre d’intervention.
  • Juridique : 
    Comme pour la Belgique, la France a adopté la charte sociale européenne, de laquelle on peut déduire qu’il est interdit de travailler plus de 16 heures par jour.
    Certes la constitution Belge est différente de la Française, mais globalement l’argument juridique avancé par le Ministre Belge semble tout à fait transposable en France.
    Si le temps de travail des sapeurs empires en France est conforme au décret 2001-1382 modifié, il n’en reste pas moins qu’il est, pour les agents en gardes de 24 heures, non conforme aux dispositions de la directive européenne 2003/88. En ce sens, les employeurs publics s’exposent à un risque juridique évident en cas d’accident d’un sapeur pompier à la fin d’une de ses gardes de 24 heures, si son régime de travail n’a pas respecté toutes les dispositions de la Directive européenne 2003/88 : Limitation du temps de travail sur 48 heures, repos journaliers et hebdomadaire, repos compensateurs, dispositions relatives aux travailleurs de nuit et postés, etc …..

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S’il semble évident que le régime de travail des sapeurs-pompiers français bascule tout doucement vers les gardes de 12 heures, il n’en reste pas moins que les institutions défendent encore le système des gardes de 24 heures, contrairement à ce qui se passe en Belgique où l’amorce de la disparition des grades de 24 heures est clairement engagée.

La raison de ce soutien des autorités aux gardes de 24 heures, soutien pour le moins curieux compte tenu des effets sur la santé à long terme des sapeurs-pompiers professionnels français de ce type de travail, est claire si l’on relit les interventions des parlementaires suite à la mise en demeure par l’Europe à la France de rendre conforme le décret sur le temps de travail des sapeurs pompiers.

A titre d’exemple, dans sa question d’actualité au gouvernement du 6 mars 2013, Monsieur le député  Charles de Courson indique « Il en résulte un surcoût considérable pour les budgets des SDIS » . Voir ci-après sa question complète et la réponse du ministre de l’intrieur de l’époque,  Monsieur manuel Valls.

Rappelons :

Directive européenne 2003/88, 4 éme Considérant

L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique.

 

Au final, en France, il semble inéluctable que les gardes de 24 heures vont disparaître compte tenu de l’augmentation de l’intensité au travail, des effets à long terme sur la santé d’un tel système de travail, du besoin des employeurs publics d’adapter les effectifs au nombre d’intervention, et de la judiciarisation de la société française.

La question n’est donc pas de savoir si les gardes de 24 heures vont disparaître, mais plutôt quand elle vont disparaître.

La réponse est bien entendue dans les mains des autorités, mais également dans celles des sapeurs pompiers professionnels qui se rendront compte des effets à long terme sur leur santé des gardes de 24heures, du travail de nuit et du travail posté.

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